Les déplacements ont marqué l'histoire moderne de la bande de Gaza, un territoire de 360 kilomètres carrés situé à l'est de la Méditerranée. La bande de Gaza faisait partie du sous-district de Gaza de la Palestine mandataire, mais elle est devenue une unité administrative et politique après 1948. La Nakba n'a pas seulement dessiné ses frontières contemporaines, elle a également initié son histoire moderne en tant que lieu soumis à d’incessantes politiques israéliennes de déplacement, qui ont commencé à la fin des années 1940 et se poursuivent encore aujourd'hui.
La Nakba a remodelé la population de Gaza. Sur les 750 000 Palestiniens poussés à l'exil entre 1947 et 1949, environ 200 000, principalement originaires du sud et du centre de la Palestine, y ont trouvé refuge. Sa population, qui comptait auparavant 80 000 habitants, a plus que triplé. Aujourd'hui, ces réfugiés et leurs descendants représentent près de 80 % de la population. La surpopulation actuelle de la bande de Gaza - considérée comme l'endroit le plus densément peuplé de la planète - est donc directement liée aux expulsions israéliennes de la fin des années 1940.
La bande de Gaza a été administrée par l'Égypte de 1948 à 1967. Pendant l'agression tripartite contre l'Égypte, Israël l’a occupée militairement de novembre 1956 à mars 1957 ; au cours de cette période, entre 930 et 1 200 Palestiniens ont été tués, la moitié d'entre eux n'étant pas des combattants, et de nombreux Palestiniens ont été déplacés, le gouvernement israélien ayant encouragé leur réinstallation permanente dans d'autres régions du monde. Le ministre israélien des finances, Levi Eshkol, alloua un demi-million de dollars pour financer l'émigration de 200 familles de réfugiés palestiniens de Gaza en 1956-57.
Dix ans plus tard, Israël attaqua l'Égypte, la Syrie et la Jordanie. En six jours, en juin 1967, Israël occupa le plateau du Golan, le Sinaï, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza, plaçant ces régions sous un régime militaire. Environ 300 000 Palestiniens devenaient des réfugiés en fuyant l'armée d'occupation israélienne, certains pour la deuxième fois. Si la majorité des personnes déplacées en 1967 vivaient auparavant en Cisjordanie, environ 45 000 ont fui la bande de Gaza, se rendant en grande majorité en Jordanie.
Après 1967, la Cisjordanie et la bande de Gaza furent connues sous l'appellation « territoires palestiniens occupés » (TPO). La normalisation de ce terme a toutefois masqué le fait qu'Israël mena des politiques très différentes dans chaque territoire. En bref, Israël a toujours considéré la Cisjordanie comme une acquisition bien plus souhaitable que la bande de Gaza ; la première abritait un certain nombre de sites religieux sacrés et pouvait également offrir une profondeur stratégique significative. En conséquence, à la fin des années 1960, le gouvernement israélien commença à discuter de l'opportunité d'annexer la Cisjordanie, où une première colonie israélienne fut construite peu après le début de l'occupation. En revanche, la bande de Gaza n'avait pas de lieux saints et avait une valeur stratégique minimale, ce qui la rendait beaucoup moins désirable. En outre, les Israéliens considéraient depuis longtemps que la population de la bande de Gaza était plus militante et plus radicale que celle de Cisjordanie, en raison de sa densité et d’une forte proportion de réfugiés. La population réfugiée fut un terreau fertile à l’émergence d’un nombre très important de fadayins issus des couches les plus pauvres de la société.
La politique d'Israël à Gaza s'est donc concentrée sur l'élimination de ce qu’il considérait comme espace favorisant l'extrémisme politique : les camps de réfugiés. Alors que ses opérations en Cisjordanie consistaient en des fermetures et des couvre-feux, à Gaza, il a cherché à démanteler complètement les camps de réfugiés. Les gouvernements israéliens successifs ont poursuivi cet objectif en combinant plusieurs politiques. Afin de "diluer" la concentration de réfugiés, considérée comme facteur de radicalisation, Israël a rattaché certains camps à des villes existantes en essayant d'y intégrer les réfugiés dans leurs quartiers. Dans les camps les plus peuplés, l'armée israélienne démolit des habitations et élargit les routes pour faciliter les patrouilles. L'ONU estime que plus de 15 000 réfugiés ont été touchés par les démolitions au cours du seul été 1971, ce qui inclut la destruction de plus de 2 500 maisons dans les camps de Jabaliya, Rafah et Shati'.
Plus important encore - et plus controversé - le gouvernement israélien utilisa la migration forcée comme stratégie permettant de renforcer son contrôle sur Gaza dans les premières années de l'occupation. Dans la période qui a suivi 1967, Israël concrétisa ses tentatives de dispersion des camps en réinstallant de force une partie de la population réfugiée de Gaza en Cisjordanie, en Jordanie, dans le Sinaï ou même plus loin. Il a d'abord procédé à des déportations collectives, mais cette pratique s'est rapidement heurtée à des difficultés. Le 14 décembre 1967, les autorités jordaniennes refusèrent l'entrée d'un groupe de plusieurs centaines de Palestiniens, via la Cisjordanie contrôlée par Israël, au motif qu'ils étaient transférés contre leur gré. La Jordanie finit par interdire totalement les déportations à travers le Jourdain. C’est pourquoi, après 1970, les habitants de Gaza expulsés par Israël vers le sud de la Jordanie l’ont été à travers le Wadi Araba.
À la fin des années 1960, les forces d'occupation israéliennes mirent en œuvre une stratégie à plusieurs volets pour encourager les gens à partir. Elles créèrent des "bureaux d'émigration" dans les camps de réfugiés, offrant de l'argent à ceux qui acceptaient de s'installer définitivement à l'étranger et s'occupant de l'organisation logistique de leur départ. Cette promesse financière était assortie de mesures visant à baisser le niveau de vie à Gaza afin d'encourager les gens à partir. Au cours des six premiers mois de 1968, environ 20 000 personnes ont émigré de la bande de Gaza, dont 80 % de réfugiés de la Nakba. Les incitations financières d'Israël ont été un facteur clé de leur départ.
Dans le même temps, les Palestiniens qui avaient déjà quitté la bande de Gaza - y compris ceux qui étaient à l'étranger pendant la guerre de 1967 - n'étaient pas autorisés à y revenir. Dès le début de l'occupation, les émigrants en partance ont dû signer une déclaration stipulant qu'ils ne pourraient pas revenir sans un permis spécial. Ceux qui tentaient de revenir sans autorisation étaient déportés et parfois abattus ; en trois mois, de juin à septembre 1967, 146 personnes ont été tuées en essayant de traverser le Jourdain vers l'ouest, et plus de 1 000 ont été arrêtées et expulsées. En raison des politiques israéliennes et de la guerre de juin, la population de Gaza a chuté de façon spectaculaire, passant de 385 000 habitants en 1967 à 334 000 l'année suivante. Elle n'a retrouvé son niveau d'avant-guerre qu'au milieu des années 1970.
Les politiques israéliennes de transfert se sont intensifiées au début des années 1970, parallèlement au démantèlement des camps de réfugiés. Sous la direction du commandant militaire Ariel Sharon, 38 000 réfugiés de la Nakba furent déracinés pour la deuxième fois et réinstallés ailleurs en 1971 ; 12 000 d'entre eux furent envoyés dans des campements dans le Sinaï, tandis que les autres étaient dispersés entre le camp de réfugiés de Dheisheh, en Cisjordanie, et les villes et villages de Gaza. Le gouvernement israélien a prétendu que ces déplacements forcés étaient nécessaires pour lutter contre le terrorisme, mais le ministère israélien des Affaires étrangères déclara à l'ambassade des États-Unis le 16 août 1971 que ces déplacements faisaient partie d'un plan visant à réduire la population de Gaza et ainsi à réduire sa propension au militantisme politique. En tant qu'espaces les plus densément peuplés, les camps de réfugiés se trouvaient au cœur de ce plan. De nombreux Palestiniens ont relié ces politiques à la Nakba, en tant que plan visant à dissoudre l'identité politique des réfugiés et à saper leur droit au retour. En outre, ces politiques ont été mises en œuvre alors que les colonies israéliennes de la bande de Gaza continuaient à s'étendre - de même que celles de Cisjordanie - provoquant davantage de déplacements par suite de démolitions et d'expulsions. Lorsque la première intifada éclata, vingt ans après le début de l'occupation, vingt-et-une colonies avaient été construites à Gaza, abritant environ 2 200 colons, et contrôlant 40 % du territoire.
Si Israël a retiré unilatéralement ses colonies de Gaza en 2005, cela n'a pas signifié la fin de ses pratiques de déplacement. L'occupation a continué de favoriser l'émigration, en particulier en imposant un blocus et en assiégeant la bande de Gaza avec l'Égypte depuis 2007. Le blocus a étranglé l'économie gazaouie, gravement compromis les services de santé et a abouti à une montée en flèche du chômage et de la pauvreté. L'étranglement économique s’est accompagné d’attaques militaires ; Israël a mené des frappes aériennes régulières à Gaza, notamment en 2008-9, 2012, 2014, 2018 et 2021. En 2012, les Nations unies ont estimé que la bande de Gaza serait invivable à l'horizon 2020.
Les migrations forcées ont également façonné l'histoire de Gaza d'une autre manière ces dernières années. Depuis 2011, une nouvelle vague de réfugiés est arrivée à Gaza, cette fois en provenance de Syrie. Le déclenchement de la guerre civile syrienne a dévasté la communauté palestinienne du pays, qui comptait 550 000 personnes, une communauté constituée des réfugiés de la Nakba. Environ 120 000 Palestiniens ont quitté la Syrie, devenant ainsi une population deux fois déplacée. Un petit nombre d'entre eux ont fui vers Gaza, bouclant l'impact structurel à long terme de la Nakba. On estime qu'environ 250 familles palestiniennes de Syrie vivent aujourd'hui à Gaza.
D'autres pratiques israéliennes de déplacement dans la bande de Gaza sont à venir. En août 2019, le journaliste Amichai Stein a rapporté que le gouvernement israélien envisageait d'encourager l'émigration permanente des Palestiniens de Gaza. Bien que les détails du plan restent inconnus, il consiste entre autres à inciter certains pays à accepter des émigrants palestiniens en échange de la prise en charge des coûts par Israël. Jusqu'à présent, aucun des gouvernements approchés n'a accepté l'offre.
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