Le soulèvement de mars 1955 a été organisé conjointement par les communistes et les islamistes gazaouis pour s'opposer à un plan égypto-onusien de transfert des réfugiés de la Bande de Gaza au nord-ouest du désert du Sinaï. Largement soutenu par les masses et précis dans ses revendications, le soulèvement a finalement réussi à mettre fin au projet de réinstallation en dehors de la Bande Gaza.
Contexte du soulèvement
Au début de l'année 1948, la Bande de Gaza comptait près de 80 000 habitants. À la fin de l'année, la population avait plus que triplé, près de 200 000 réfugiés de diverses villes et villages palestiniens ayant afflué dans la bande pendant et après la guerre de Palestine. Les réfugiés sont répartis dans huit camps. Après la signature de l'accord d'armistice entre Israël et l'Égypte le 24 février 1949, la Bande de Gaza est dirigée par un gouverneur militaire égyptien, qui bénéficie des mêmes privilèges que le haut-commissaire britannique avant la Nakba.
La révolution égyptienne de juillet 1952 a porté Gamal Abdel Nasser au pouvoir. En 1953, son administration cherchait encore sa voie en politique étrangère, tout en étant aux prises avec des problèmes internes, lorsqu'elle accepta un plan de réinstallation de 12 000 familles de réfugiés de la Bande de Gaza sur des parcelles de terre situées au nord-ouest du désert du Sinaï (après avoir bonifié ces terres en y redirigeant chaque année des portions d'eau du Nil). Négocié entre le gouvernement égyptien et l'Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), ce plan reçoit le soutien de l'administration américaine, qui accepte d'y consacrer 30 millions de dollars. À l'époque, ce projet de réinstallation est considéré comme une affaire grave, car son exécution a été planifiée en détail et le gouvernement égyptien et l'UNRWA étaient tous deux déterminés à le mener à bien.
En 1953, les forces israéliennes avaient commencé à attaquer les camps de réfugiés palestiniens de la Bande de Gaza, dans le but de contenir les opérations individuelles visant les colonies israéliennes situées près des frontières. Dans la nuit du 28 août, une unité militaire israélienne avait lancé une attaque contre le camp d'al-Bureij, qui avait causé la mort de cinquante civils. L'attaque avait été perçue comme faisant partie d'une stratégie visant à démanteler les camps et à ouvrir la voie à la réinstallation des réfugiés, et les résidents avaient réagi en organisant une grande manifestation à l'école secondaire d'al-Bureij pour les réfugiés, réclamant des libertés publiques et la création d'une garde nationale palestinienne pour protéger les abords des camps.
Raid israélien du 28 février 1955
Au début de l'année 1954, le secrétaire d'État américain John Foster Dulles espère amener tous les pays du Moyen-Orient à soutenir un ambitieux plan américain visant à contrer l'Union soviétique, et à cette fin, il s'efforce de résoudre les tensions dans la région, en commençant par l'Égypte et Israël. Au cours de l'été 1954, l'administration Eisenhower ayant facilité la conclusion d'un accord entre l'Égypte et la Grande-Bretagne stipulant le retrait des forces britanniques de leur base sur le canal de Suez, les fonctionnaires du département d'État commencent à rédiger une proposition détaillée de plan de paix entre l'Égypte et Israël, désignée sous le nom de code "Opération Alpha".
Cependant, les expansionnistes israéliens n’étaient pas prêts à conclure un accord de paix avec l'Égypte, ce qui devient évident après la révélation d'un "scandale" impliquant le ministre israélien de la Défense, Pinhas Lavon. Lavon avait activé un réseau d'espionnage à l'intérieur de l'Égypte, ordonnant plusieurs opérations contre des cibles égyptiennes, britanniques et américaines. L'objectif était de créer une instabilité afin d'inciter le gouvernement britannique à maintenir ses troupes dans la zone du canal de Suez. L'aversion d'Israël pour la paix apparaît encore plus clairement lorsque le nouveau ministre de la Défense, David Ben-Gourion - qui a prêté serment le 21 février 1955, après la démission de Lavon - consolide sa politique de main de fer par un raid dévastateur sur la Bande de Gaza, le plus violent depuis la signature de l'accord d'armistice entre Israël et l'Égypte.
Dans la soirée du 28 février 1955, une unité de parachutistes israéliens attaque un camp militaire égyptien près de la gare ferroviaire de Gaza, tuant dix-sept soldats dans leur sommeil, apparemment parce que des militants palestiniens avaient tué un Israélien à Rehovot. L'attaque était également une embuscade ; une force égyptienne s'est précipitée pour aider les soldats du camp, ce qui a entraîné d'autres pertes militaires égyptiennes. L'attaque fait trente-huit morts et trente-trois blessés. À la demande du gouvernement égyptien, le Conseil de sécurité des Nations unies se réunit et, le 29 mars 1955, il adopte la résolution 106, qui condamne l'attaque israélienne contre la bande de Gaza.
Réaction populaire au projet de transfert de réfugiés
Les mouvements populaires contre le projet de réinstallation des réfugiés dans le Sinaï avaient commencé dès la publication par les journaux égyptiens des premières allusions à un plan en mai 1953. Mais le 1er mars 1955, juste après l'assaut israélien, une manifestation de masse a lieu à l'école publique Palestine à Gaza, où les enseignants, les étudiants, les chauffeurs de bus et les propriétaires de magasins scandent : "Non à la relocalisation, non à la réinstallation !" ; "Pas de relocalisation, pas de colonisation/ À bas les agents américains" ; "Ils ont rédigé le projet du Sinaï à l'encre/ Nous l'effacerons avec du sang". Les forces de police égyptiennes ouvrent le feu sur les manifestants, tuant Hosni Belal, un ouvrier textile originaire de la ville de Majdal, devenu réfugié à Gaza. Des manifestations ont lieu dans les villes, les villages et les camps de la Bande de Gaza, de Beit Hanoun au nord à Rafah au sud. Les manifestants brûlent des voitures appartenant à des responsables militaires égyptiens et attaquent des sièges d'agences de l'ONU et des entrepôts de l'UNRWA.
Les manifestants - communistes, membres de la confrérie des Frères musulmans et indépendants - maintiennent leur élan au cours des jours suivants. Les manifestations sont supervisées par le Comité national suprême, qui tient ses réunions au siège du Syndicat des enseignants de l'UNRWA. Des représentants du comité sont choisis dans chacun des huit camps de la bande, et des sous-comités sont formés pour protéger les manifestants, ce qui contraint les autorités égyptiennes à autoriser le directeur du service de renseignement, Saad Hamza, à négocier avec les représentants du Comité national suprême. De fait, deux représentants - le secrétaire général du parti communiste palestinien, Muin Bseiso, et le dirigeant des Frères musulmans Fathi al-Balaawi - rencontrent Hamza et lui font part des revendications des manifestants : une annonce publique par les médias officiels égyptiens de l'annulation du projet de relocalisation dans le Sinaï ; la formation et l'armement des Palestiniens dans les camps afin qu'ils puissent se défendre contre les raids israéliens ; le jugement de tous les fonctionnaires ayant tiré à balles réelles sur les manifestants ; les libertés civiles pour les Palestiniens dans la bande (surtout la liberté de publier, de se réunir et de faire grève) ; et des garanties que ceux qui ont participé aux manifestations ne seront pas poursuivis.
Peu après, le gouverneur militaire de la Bande de Gaza, le général de division Abdallah Refaat - qui s'était réfugié à Arish au début des manifestations - publie une déclaration répondant aux demandes du Comité national suprême, promettant de mettre fin au projet de relocalisation dans le Sinaï, de rédiger une nouvelle loi pour la formation et l'armement des résidents des camps de réfugiés de la Bande de Gaza, de garantir les libertés civiles et de ne pas harceler les participants aux manifestations.
Toutefois, ces promesses sont rapidement rompues. Refaat fait appel aux bataillons militaires égyptiens stationnés dans le désert du Sinaï pour lancer une campagne massive d'arrestations dans la nuit du 8 au 9 mars 1955 ; les membres du Comité national suprême, ainsi que de nombreux enseignants, étudiants et travailleurs, sont arrêtés ; ils sont envoyés à la prison centrale de Gaza et à Arish, puis transférés en Égypte, où ils resteront détenus jusqu'en juillet 1957. Refaat démantèle également le Syndicat des enseignants de l'UNRWA et ordonne des mesures pénales sévères à l'encontre de toute personne provoquant des grèves ou des sit-in.
Après le soulèvement
Le raid israélien contre des cibles militaires égyptiennes dans la Bande de Gaza le 28 février, ainsi que les manifestations de masse qui ont suivi, ont constitué un changement dans le cours de la révolution égyptienne de 1952 et dans les approches de ses dirigeants. Dans un discours prononcé devant les étudiants de l'Académie militaire égyptienne, Gamal Abdel Nasser annonce que l'assaut israélien sur la Bande de Gaza va marquer un tournant dans l'histoire de l'Égypte et de la région. Ce tournant se traduit à l’époque par deux événements majeurs. Le 27 septembre 1955, l'Égypte signe un accord avec la Tchécoslovaquie pour l'achat d'armes soviétiques, brisant ainsi le monopole de l'Occident sur les importations d'armes dans la région - et dans les pays du tiers-monde en général. L'accord est signé avec la Tchécoslovaquie et non avec l'Union soviétique dans le but d'éviter toute réaction internationale négative alors que le gouvernement égyptien attend un financement international des Nations unies et de l'Occident pour la construction du haut barrage. Le deuxième événement est la décision des dirigeants égyptiens de se lancer dans des opérations de guérilla avec la Bande de Gaza comme base, en commençant par la formation d'unités palestiniennes de fida'i dirigées par le directeur du renseignement militaire égyptien dans la Bande de Gaza, le lieutenant-colonel Mostafa Hafez. Ces unités reçoivent le nom de "Bataillon 141" et leurs opérations, qui débutent en septembre 1955, entraînent de lourdes pertes pour les Israéliens. Les opérations du Bataillon 141 ne cesseront qu'après l'assassinat de son commandant par les services de renseignement israéliens en juillet 1956.
Quant aux projets de réinstallation des réfugiés en dehors de la Bande de Gaza, ils ne feront plus partie de la politique égyptienne pour les années à venir. Ces projets seront de nouveau à l’ordre du jour en Israël après son occupation de la bande de Gaza et de la péninsule du Sinaï en juin 1967. L'une des diverses mesures prises par Israël pendant son occupation a été de reloger des milliers de réfugiés dans la ville de Rafah, dans ce qui allait être connu sous le nom de "Canada Camp". Plus tard, dans le cadre du traité de paix égypto-israélien signé en mars 1979 et du retrait des forces israéliennes du Sinaï, Israël acceptera le principe de leur retour dans la Bande de Gaza. Toutefois, il a fallu plus de dix ans aux deux parties pour parvenir à un plan de rapatriement, et il a fallu encore dix ans, jusqu'à la création de l'Autorité palestinienne en 1993, pour que les dernières familles puissent se réinstaller dans la Bande de Gaza.
Cossali, Paul et Clive Robson. Stateless in Gaza. Londres : Zed Books, 1986.
Filiu, Jean-Pierre. Histoire de Gaza. Paris: Fayard, 2015.
Palumbo, Michael. Imperial Israel. Londres : Bloomsbury, 1992.
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