Au cours des dix-neuf mois de la guerre de Palestine, près des deux tiers de la population arabe palestinienne ont dû fuir leurs villes ou leurs villages par peur ou par contrainte. La Palestine arabe a été perdue et, lorsqu'Israël ferma ses frontières, personne ne fut autorisé à y retourner. La majorité des réfugiés palestiniens se sont retrouvés dans la Bande de Gaza (sous contrôle égyptien) et en Cisjordanie (sous contrôle jordanien), dont les frontières n’ont été tracées qu’à l'issue de la guerre par les accords d'armistice de 1949. Selon le lieu où ils vivaient en Palestine, d'autres Palestiniens se sont réfugiés en Jordanie, en Syrie ou au Liban.
Au début, de nombreux réfugiés ont trouvé refuge dans des bâtiments abandonnés, d'anciennes casernes militaires, des écoles, des mosquées, des églises, ou chez des amis et des parents. Beaucoup ont attendu dans des camps de tentes près des frontières et se sont ensuite déplacés pour retrouver leurs familles, trouver du travail et accéder aux secours, aux soins médicaux et à l'éducation. Très vite, des organisations non gouvernementales (ONG) fournirent des tentes, des rations alimentaires et une assistance médicale, et organisèrent des classes sous les tentes. À l'automne 1948, la résolution 194 des Nations unies fut adoptée, confirmant le droit au retour des réfugiés. Environ un an plus tard, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) était créé pour fournir une assistance humanitaire temporaire et des programmes de formation professionnelle.
Environ un tiers des réfugiés palestiniens finiront par vivre dans des camps. Aujourd'hui, plus de soixante-dix ans plus tard, il existe cinquante-neuf camps officiels de réfugiés, ainsi que des cantonnements non officiels. Si les anthropologues, les géographes et les architectes ont contribué de manière significative à la recherche sur ces camps, il s'agit là d'un angle mort pour les historiens.
L'émergence des camps
Au départ, de nombreux camps de tentes établis par les ONG étaient installés dans des lieux isolés près des frontières où les réfugiés s'étaient rassemblés. Puis les gouvernements jordanien et libanais transférèrent les réfugiés vers de nouveaux camps éloignés des frontières. Pour sa part, l'UNRWA soutenait qu'il était important d'éviter l'établissement de camps en des lieux qui n'offraient que peu d'opportunités d'emploi. Pour l'UNRWA, installer de grands camps en des lieux centraux était préférable aux points de vue de l'accès, de l'entretien et de l'administration à de petits camps dispersés.
Des rapports de l'UNRWA indiquent que le nombre de réfugiés vivant dans les camps augmentait rapidement du fait que beaucoup de nouveaux venus voulaient s'y installer. Dans le même temps, de nombreux réfugiés « squattaient » à Amman et Jérusalem et étaient considérés par le gouvernement comme une menace pour la santé et la sécurité. Les réfugiés vivaient également dans des centaines de cantonnements informels disséminés dans les pays d'accueil. En réponse à cette situation, l'UNRWA établit de nouveaux camps afin d'absorber le plus grand nombre de réfugiés. Puis, progressivement, après une période de stabilisation, le nombre de camps passa de 71 en 1951 à 57 en 1955, et diminua encore au début des années 1960.
En 1951, l'UNRWA commença à construire des baraquements, considérés comme un meilleur hébergement que les tentes et moins coûteux à construire et à entretenir car ils ne nécessitaient pas d’être remplacés périodiquement. L'UNRWA encouragea également les réfugiés à ériger de petites structures : en briques de terre dans la vallée du Jourdain et à Gaza, en pierre dans les collines de la Palestine arabe et en nattes en Syrie. Les toitures représentaient un défi majeur, et l'UNRWA a expérimenté divers matériaux tels que les roseaux, les cartons de lait, les barils d'asphalte vides, les tuiles et la céramique.
Si la fonction de base d'un camp de réfugiés est la résidence temporaire, l'assistance et la sécurisation, les habitants des camps lui ont alloué d’autres fonctions, sociales, militaires et politiques. Le camp de réfugiés temporaire symbolise à la fois le droit au retour, mais aussi la souffrance des réfugiés et leur refus d’une intégration permanente. Les camps de réfugiés se ressemblaient mais ils ont évolué de manière différente. Leur développement dépendait d'un grand nombre de facteurs, tels que les différents contextes locaux, la géographie, les politiques des pays d'accueil, l'engagement politique et leur propre organisation interne. Dans l'ensemble de la région et sur une longue période, les camps ont été des lieux en constante évolution, avec des identités complexes et diversifiées.
Le programme d'hébergement de l'UNRWA
D'une manière générale, il existait trois types de camps dans les années 1950 : ceux qui évoluaient grâce aux seuls efforts des réfugiés, ceux où l'UNRWA remplaçait les tentes par des huttes ou des abris ou aidait les réfugiés à le faire, et les camps entièrement construits par l'UNRWA. En 1955, la démarche de l'UNRWA est passée d'une approche ad hoc à un programme plus structuré, dont l'objectif principal était de remplacer les tentes par des abris dans les camps existants. En 1959, la plupart des tentes ont été remplacées par des abris en béton. Ceux-ci étaient partout construits sur le même modèle : une petite habitation sur un terrain relativement grand dans laquelle la famille pouvait ajouter des pièces et des équipements si elle le jugeait nécessaire et si elle pouvait se le permettre. D’après l'UNRWA, les habitants des camps construisaient généralement une cuisine, des latrines et une salle de séjour supplémentaire dès qu'ils le pouvaient, puis un mur pour clôturer le terrain.
Le deuxième objectif du programme d'hébergement était de fournir des matériaux ou de l'argent pour encourager les habitants à construire leurs propres abris, ce qui était présenté souvent comme de l'auto-assistance. Les pratiques, cependant, ont varié considérablement. En Cisjordanie, en Transjordanie, et à Gaza, les entrepreneurs de l'UNRWA ont construit un grand nombre d'abris. Au Liban, l'UNRWA a principalement distribué des matériaux de toiture aux réfugiés qui ont construit leurs propres abris. En Syrie, l’office a distribué des subventions en matériaux et en argent pour la construction de toits, parallèlement aux subventions du gouvernement syrien.
Le troisième objectif du programme d'hébergement était de construire de nouveaux camps qui seraient susceptibles d'assurer l'ordre, une faible densité de population et une meilleure hygiène. Le plan type d'aménagement (reproduit ci-dessous) comprenait des abris jumeaux (carrés noirs) et des parcelles adjacentes (carrés blancs). Il y avait des zones spécifiques pour les abris, les adductions d'eau, les latrines et les espaces ouverts, ainsi que pour les services telles que les écoles, les cliniques et les centres, reliés par un système de routes circulaires.
Malgré les pouvoirs disciplinaires de l'UNRWA et de l'État hôte, les réfugiés ont, en tant qu'acteurs autonomes, marqué leur espace et le camp où ils vivaient de leur propre identité. Dans certains quartiers du camp, les réfugiés ont reproduit le modèle d'organisation de leur village perdu en Palestine. Le rassemblement dans de tels microgroupes a contribué à entretenir un sentiment d'appartenance, de convivialité et de sécurité. Les camps symbolisaient la perte et la défaite, mais ils sont devenus un puissant levier d'organisation et d'expression de l'identité nationale.
L'UNRWA a instauré des règlements pour les camps, dont l'un des objectifs était de réglementer la construction des habitations. Pour ce faire, il devait respecter les normes édictées par le pays d'accueil. C'est le Liban qui a imposé le plus de restrictions aux constructions des réfugiés et aux réfugiés eux-mêmes, mais le degré d'implication du pays d'accueil a varié. Dans les années 1960, l'UNRWA a signalé que les camps étaient déjà surpeuplés et qu’ils avaient besoin de réparations et d'entretien. Les abris et les camps avaient été construits selon des normes insatisfaisantes et les besoins des réfugiés étaient supérieurs à ceux que pouvait satisfaire l'UNRWA. Celui-ci était mis à rude épreuve du fait de ses ressources limitées et de l'attitude des réfugiés et des pays d'accueil, tous réfractaires à l'intégration.
Six nouveaux camps de réfugiés en Jordanie après 1967
L’une des conséquences de la guerre de juin 1967 fut l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza. Des habitants de ces deux régions, ainsi que des réfugiés qui y étaient déjà enregistrés, furent expulsés ou fuirent vers la Jordanie et la Syrie. Beaucoup cherchèrent refuge chez des parents et des amis dans les camps existants, sous les arbres et dans les mosquées, tandis que d'autres se réfugièrent dans des écoles du gouvernement et de l'UNRWA. Au cours d'un processus de trois ans, six nouveaux camps officiels furent alors créés en Jordanie et un en Syrie. Il est devenu de plus en plus évident que la construction d'abris et de camps ne se faisait pas indépendamment de la politique et de l'idéologie.
En Jordanie, la situation était chaotique. Les réfugiés continuaient d'arriver de Cisjordanie et de Gaza, beaucoup d'entre eux se déplaçaient entre dix-sept camps, et l'emplacement de ces derniers changeait sans cesse. À la fin de l'année 1967, de nombreux camps ont été installés pas loin de la vallée du Jourdain, peut-être parce que le gouvernement tentait de faire pression sur Israël pour qu'il accepte le retour d'un certain nombre de réfugiés. Du point de vue israélien, la présence de camps près de la ligne de front constituait une menace imminente. L’UNRWA et le gouvernement jordanien ont décidé de chercher d’autres lieux afin d'éviter la militarisation des camps, mais leurs plans ont été rapidement interrompus. Le 15 février 1968, l'armée israélienne attaqua al-Karama et d'autres sites dans la vallée du Jourdain. En conséquence, environ 54 000 personnes furent évacuées du camp d'al-Karama. De nombreux réfugiés s'installèrent alors dans des camps situés sur les hauteurs, et aucun camp officiel ne subsista près de la ligne de front. Peu après, le gouvernement jordanien décida de l'emplacement définitif des nouveaux camps officiels.
À l'été 1970, l'UNWRA annonça qu'il ne restait plus aucun réfugié sous les tentes. Mais la construction d'abris était désormais devenue une question hypersensible. L'UNRWA devait s'adapter aux demandes des réfugiés et mettre en place des abris explicitement définis comme temporaires. L'OLP et la Ligue arabe plaidaient pour le maintien des camps dans un état précaire, mais la construction se poursuivait. Les abris mobiles en amiante et préfabriqués étant fragiles et souvent peu pratiques, l'UNRWA ne manqua pas de signaler que les nouveaux camps se détérioraient rapidement.
Les camps comme champs de bataille
En dehors de la Jordanie, aucun nouveau camp n'a été construit depuis 1967, mais beaucoup ont été détruits et reconstruits, et certains ont disparu. Les camps ont été à la fois des lieux de résistance, de militarisation et de violations des droits humains, les pays d'accueil les considérant comme des menaces pour leur sécurité. L'armée jordanienne a violemment pris pour cible les camps lors des affrontements entre l'armée et les militants palestiniens en septembre 1970. Pendant la guerre civile au Liban, les milices de la droite libanaise ont détruit en 1976 les camps de Tall al-Za'atar et de Jisr al-Basha ; tous les Palestiniens, y compris les survivants des camps, ont dû quitter l'est de Beyrouth. Dans le sud du Liban, le camp de Nabatiyya a été détruit par des avions de guerre israéliens en 1974, et le camp d'Ayn al-Hilwa à Saïda, sous occupation israélienne de 1982 à 1985, a également été dévasté. Israël cherchait à éloigner les réfugiés palestiniens de sa frontière avec le Liban, tandis que les autorités libanaises voulaient les confiner au Sud-Liban. À Ayn al-Hilwa, ce sont les femmes qui ont dirigé la reconstruction du camp, la plupart des hommes ayant été enfermés dans les centres de détention israéliens. Là, la reconstruction est devenue un signe de la détermination des réfugiés.
À Gaza, Israël a causé d'importantes destructions dans les camps à partir du début des années 1970, avec ses projets d'élargissement des routes et de réinstallation à grande échelle. À Jéricho, les camps d'Aqabat Jaber, Ein al-Sultan et Nuweimeh ont été partiellement vidés pendant la guerre de 1967. Les réfugiés qui sont restés à Nuweimeh ont été contraints de partir et, pendant des années, l'armée israélienne l'a utilisé comme zone d'entraînement militaire, puis l’a détruit en 1985, n'épargnant que l'école de l'UNRWA.
Plus récemment, l'UNRWA a reconstruit des camps qui avaient été entièrement détruits par des assauts militaires. En 2002, lors de la seconde Intifada, l'armée israélienne a occupé le camp de Jénine et a détruit plus de 400 maisons. Au Liban, les combats entre l’armée libanaises et un groupe appartenant à Fatah al-Islam qui s’étaient cachés dans le camp de Nahr al-Barid l’ont dévasté. La reconstruction a soulevé des questions délicates : comment reconstruire un camp de réfugiés temporaire ; comment tenir compte des biens, des demandes et des intérêts des réfugiés ; comment assurer le contrôle de la sécurité par l'État hôte.
Des sites complexes, en marge
En 1970, une nouvelle génération était née dans les camps et il devenait urgent de disposer de plus d'espace. Dans de nombreux camps, on a assisté à un boom de la construction par les réfugiés, parfois en violation des règles de construction de l'UNRWA ; au fil du temps, les réfugiés commencèrent à acheter, vendre, échanger et louer des abris, ce qui traduisait le désir d'une population sans propriété de vivre « normalement » malgré les contraintes. Certains camps comptent parmi les endroits les plus densément peuplés au monde. Bien que les camps ne soient pas physiquement isolés de leur environnement, les taux de chômage et de pauvreté y sont souvent élevés. Les politiques de l'État libanais ont toujours été discriminatoires à l'égard des réfugiés palestiniens, mais les pratiques des autres pays d'accueil ont varié.
Dans les années 2000, l'UNRWA a lancé un nouveau programme d'aménagement des camps, mettant l'accent sur la participation des réfugiés et tenant compte à la fois des demandes d'amélioration des conditions de vie et de l’exigence de droits internationalement reconnus. En Syrie, l'amélioration de certaines parties de l'ancien camp de Neirab et la construction d'un nouveau camp non officiel, Ain al-Tall, ont montré que les réfugiés craignaient toujours d'être intégrés et de voir les donateurs internationaux considérer le projet comme une solution définitive apportée à leur déplacement. Ces tensions ont varié d’intensité et semblent avoir diminué avec le temps. L'amélioration des camps est coûteuse et l'UNRWA souffre d'un sous-financement chronique. La politisation de l'aide, dont l'exemple le plus récent est le retrait par les États-Unis de tout financement à l'UNRWA en 2018, affecte gravement la capacité de l'UNRWA à fournir ses services et son assistance.
Le long exil palestinien revêt de multiples aspects. Les réfugiés qui ont fui la Syrie après 2011 ont afflué dans les camps existants ou se sont installés dans les villes. Cependant, le camp n'est pas un espace exclusivement palestinien. Plusieurs camps au Liban accueillent également des Libanais pauvres, des réfugiés syriens et des travailleurs étrangers, ce qui en fait des sites plus complexes de marginalisation urbaine. Les camps de réfugiés palestiniens incarnent la nécessité de mettre en application le droit au retour et d’en finir avec l'injustice prolongée de l'exil.